Page:Sand - Le Dernier Amour, 1882.djvu/234

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si je ne me laissais pas surprendre par l’indignation. J’avais affaire à deux êtres profondément habiles à dissimuler, mais je ne crois pas qu’il soit possible de tromper une personne qui ne veut pas être trompée, et qui, froide, attentive, pétrifiée pour ainsi dire à son poste d’observation passive, ne laisse échapper aucun indice, saisit un regard, commente un mouvement, s’empare d’un souffle, dissèque une ombre, et, tout cela, sans qu’on se doute de l’impassible contention de son esprit, sans que l’on soupçonne à quel degré de finesse sont arrivées ses facultés de perception.

Je rendais de temps en temps visite à la Vanina. Je ne rendis pas mes visites plus fréquentes, mais je les mis à profit pour observer ce qui se passait dans son intérieur. Elle eût été volontiers jalouse, car elle aimait son mari avec passion ; mais elle n’avait aucun soupçon, aucune inquiétude sur son compte. Elle ne doutait pas que Félicie n’eût été éprise de lui, et, fière de l’avoir emporté sur son ancienne patronne, elle vivait encore dans l’ivresse de son triomphe. Elle aimait Félicie quand même, elle la respectait toujours comme une supériorité intellectuelle et sociale ; mais elle était trop naïve pour ne pas laisser voir à moi, et à Félicie elle-même, qu’elle ne la craignait pas.

Je les vis ensemble, et un voile tomba de mes yeux, Félicie la détestait ! Vanina était bonne et confiante, un peu vaine et un peu bornée. Elle remerciait franchement Félicie d’avoir fait son bonheur, et puis elle avait un sourire enfantin qui semblait lui dire et qui