Page:Sand - Le Dernier Amour, 1882.djvu/312

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grand chagrin intérieur, ce qui est toujours possible dans une vie quelconque, je le surmonterai et ne vous le rendrai pas insupportable. Je vous demande seulement de ne pas m’interroger quand je souffre, et de ne jamais rien craindre de ma part. Vivez aussi heureuse que possible, et ne me regardez pas avec cet air d’épouvante qui me fait injure. Si vous avez aussi quelque chagrin secret, ne l’envenimez pas par des frayeurs inutiles. Je veille sur votre réputation, sur votre sécurité, sur votre indépendance. Aucune catastrophe, aucune lutte ne vous menace. Désormais je n’ai qu’une préoccupation, qui est le rétablissement stable de votre santé, la dignité et la tranquillité de votre vie ; je vous l’ai prouvé, je vous le prouverai toujours, et, loin qu’il m’en coûte, ce sera ma suprême consolation dans les épreuves qui pourront survenir.

Elle m’écouta en silence, la tête penchée sur son assiette. Nous étions à table, la bouilloire chantait dans l’âtre. Elle se leva et me servit le café. Sa main ne tremblait pas, ses mouvements étaient libres, son regard était fier et froid. Elle eût semblé à tout autre que moi n’avoir pas compris ; mais loin de là, je fus effrayé de sa tranquillité apparente. Était-elle offensée de ma douceur ? Avais-je été trop explicite ? Ne fallait-il pas l’être assez pour qu’elle n’osât plus revendiquer l’amour ?

Nous passions toujours la soirée ensemble, je lui faisais la lecture quand elle me le demandait. Elle me