Page:Sand - Le Dernier Amour, 1882.djvu/329

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

tant le verre ; mais ne pensez pas à cela maintenant. Agissez, agissez vite ! la mort n’est peut-être qu’apparente.

Tout fut inutile, Félicie était morte. La mort a cela de grand et de sacré, qu’elle raye comme d’un trait de plume les comptes les plus impossibles à régler durant la vie ; on sent tellement le souffle de Dieu passer en soi en voyant s’accomplir ce mystère, que tout souvenir terrestre, tout ressentiment fondé s’efface dans le recueillement du pardon. La mort rend tout à coup respectable l’être dégagé des étreintes de la souffrance ; elle met la pâleur de l’ascétisme et la tranquillité du juste sur les fronts dévastés par le vice et dans les traits naguère contractés par la fureur. Doublement coupable dans la vie et dans la mort, puisqu’elle finissait par le suicide, Félicie, couchée dans ses draps blancs et couverte de fleurs, était redevenue si belle et si pure, que je baisai respectueusement son front et ses mains glacées sans me rappeler le mal qu’elle m’avait fait et sans me préoccuper de celui qu’elle voulait me faire en quittant volontairement la vie.

Sans doute il y avait là un dernier, un sanglant reproche qu’elle croyait devoir m’atteindre. Je ne voulus pas le savoir, je ne voulus pas y songer avant d’avoir rendu à son corps les honneurs de la sépulture. Je veillai près du lit funèbre, j’imposai silence aux cris, aux questions, à toutes les manifestations bruyantes. Morgani me marqua beaucoup d’affection et ne me quitta presque pas. Il était inquiet de ma résignation