Page:Sand - Le Dernier Amour, 1882.djvu/342

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des Morgeron, j’embrassai le docteur et je partis en secret. J’étais aimé dans le pays, et je ne voulais pas de scène d’adieux ; je ne voulais pas qu’on plaignît ma pauvreté, qu’on admirât mon désintéressement, qu’on me rendît compte des faits et gestes du nouvel héritier et qu’on crût m’être agréable en le dénigrant. À certaines tristesses il faut la solitude, à certaines fiertés le silence. Je m’en allai par le glacier, après avoir pris quelques moments de repos aux chalets Zemmi. Le soleil était chaud, mais j’évitai l’ombre du rocher de la Quille ; il y avait là pour moi un souvenir empoisonné. Je regardai le ciel, les cimes, les aigles qui planaient, les bois de la région inférieure qui me cachaient la maison et l’île, la prairie mollement ondulée sous mes pieds, et au loin les massifs superposés des Alpes italiennes. Tout cela était beau et grand. La nature était innocente de mes maux. Je n’avais reçu d’elle que des sourires, des enseignements et des forces. Je n’avais plus un seul ami sur la terre ; car, moi aussi, j’étais mort pour tous ceux avec qui je venais d’être doux, humain et juste pendant cinq ans.

Ne devant et ne voulant jamais les revoir, jamais leur donner signe de vie, jamais rien savoir de ce qui se passerait sur ce coin de terre où j’avais compté finir mes jours, j’allais être un peu regretté et vite oublié. On ne s’occupe guère de ceux qui ont du courage et qui ne veulent pas qu’on les plaigne. Donc, je me retrouvais après cinq ans aussi seul, aussi in-