Page:Sand - Le Dernier Amour, 1882.djvu/44

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fonde aidaient le torrent principal à bouleverser les terres et à entasser les galets. La montagne, brisée et crevassée en mille endroits, offrait un labyrinthe de débris, de blocs perdus dans les marécages, d’arbres entraînés des hauteurs, de fissures mystérieuses, de recoins sauvages, d’abîmes impénétrables. Ce chaos de rochers, de sables et de verdure eût fait la joie d’un peintre, et, sans être peintre, j’avoue que je n’eusse voulu y rien changer, si ce fantastique domaine eût été mien.

Mais, en explorant, au péril de ma vie, la gorge où se déversaient à grand bruit les deux torrents, je découvris quelque chose que l’on eût pu appeler une mine de terre : c’était un amas enfoui de terre végétale de la meilleure qualité. Arracher cette terre à l’abîme où elle s’était amoncelée depuis quelques années dans une profonde fissure sous-rocheuse eût été un travail gigantesque ; mais forcer les eaux, qui avaient enseveli là leurs apports, à en conduire ailleurs de nouveaux et à les livrer à la culture, ne me parut pas très-difficile. Il ne s’agissait que de briser à la mine une roche qui leur fermait le passage et de diriger leur course sur la presqu’île dont Jean avait l’ambition de faire une île. Ce sol bas, que la rivière inondait sans cesse, devait se renfler et s’élever vite à une certaine hauteur capable de résister aux flots, si nous parvenions à l’enrichir de tous les débris et de tous les détritus fécondants que charriaient les petits torrents. Il s’agissait de savoir si ces débris partaient