Page:Sand - Le Dernier Amour, 1882.djvu/46

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des gouffres qui ne seront peut-être pas comblés dans cent ans ?

Je vis que Jean n’avait pas saisi mon plan, et ne cherchait pas beaucoup à le saisir. Il n’aimait que ses propres fantaisies. Il fallait donc non-seulement lui faire adopter mon idée, mais encore lui persuader qu’il en était le père.

— Monsieur Jean, lui dis-je, vous vous moquez de moi. Vous avez parlé par métaphore, pensant que je ne vous devinerais pas ; mais je sais fort bien que vous comptez amener le torrent sur la presqu’île.

Un éclair passa sur son front ; cependant il hésita à se parer de ma découverte.

— Est-ce que je vous ai dit, s’écria-t-il, que je croyais pouvoir faire cette chose-là ?

À mon tour, j’hésitais à mentir ; mais il fallait mentir pour le sauver, et je prétendis qu’il me l’avait donné à entendre. En même temps, je lui glissai adroitement la notion que j’avais acquise en explorant le rocher, si facile à faire sauter.

Je vis dans ses yeux ardents un combat sérieux entre son orgueil d’inventeur et sa loyauté naturelle. Sa loyauté l’emporta.

— Vous me trompez, dit-il en m’embrassant, je n’avais jamais songé à ce que vous dites ; mais il y a autant d’honneur à adopter une bonne idée qu’à l’avoir engendrée. Nous ferons sauter cette masse, nous achèterons la prairie de là-haut, nous… Non ! nous achèterons la prairie d’abord, et, quand nous