Page:Sand - Le Dernier Amour, 1882.djvu/55

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tique, ses belles mains soignées, son violon dont l’archet était orné d’une agate où ses armes étaient gravées.

« Dans une de ses tournées en Lombardie, il passa la frontière, et, en se rendant à Genève, il dut s’arrêter quelques jours à Sion. C’est là que vivait Justin Morgeron. Paysan enrichi devenu bourgeois, propriétaire de plusieurs fermes, il vivait à la ville avec Jean son fils unique. Il avait perdu sa femme peu de temps après son mariage et il avait quarante ans. Toute sa famille était des plus honorables, et lui-même, protestant rigide, menait la vie d’un homme sérieux.

« Mais, à force d’être sérieux, on sent un jour le besoin des passions. Il donna l’hospitalité à Tonio Monti et à sa fille. Le vieux artiste ambulant était blessé au pied. Le bourgeois charitable le soigna et le garda un mois, et, au bout d’un mois, il était tellement épris de la belle Luisa, qu’il la demanda à son père et l’épousa.

« Ce fut un scandale terrible dans la famille Morgeron, dans la ville et dans le pays. Mon grand-père avait eu beau prouver la noblesse de sa race et de son caractère, il était artiste ! On l’avait vu se traîner boiteux avec sa fille et son violon à la porte des riches ; on n’admettait pas que cette jolie fille pût être pure. On la traitait de bohémienne, on ne la saluait pas, on détournait les yeux quand elle passait. Les protestants la méprisaient d’autant plus qu’elle