Page:Sand - Le Dernier Amour, 1882.djvu/59

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aisé, afin qu’il puisse soutenir sa famille sur laquelle je veille en attendant. Le moment approche ; mon frère l’a associé dans une certaine proportion aux profits de notre exploitation. J’ai fait pour lui une tirelire depuis dix ans, et bientôt il aura de quoi appeler ses parents auprès de lui et se marier convenablement.

« À présent, parlons de moi seule. Depuis treize ans que je vis ici, j’ai vécu seule ; je n’ai pas regardé si un homme était jeune ou vieux, grand ou petit, brun ou blond. Je n’ai ni aimé, ni souhaité d’aimer, ni regretté de ne pas aimer. Je n’ai pensé qu’à mon devoir, c’est-à-dire au bonheur de mon frère et à l’avenir de Tonino. Je rudoie l’un, je contrarie l’autre. Le malheur m’a rendue amère et peut-être dure aux autres, comme je le suis devenue à moi-même. Je ne sais pas être aimable, ce n’est pas ma faute ; mais je veux fortement me dévouer, et je me dévoue. Dites à présent si l’on peut m’estimer.

— Oui, et vous respecter, répondis-je. Vous voyez que je ne me trompais pas.

— Vous en avez douté pourtant ?

— Non ; mais, si cela était, peu importe. Je n’en doute plus.

— Et croyez-vous toujours que l’on pourrait m’aimer ? On n’aime pas les gens qui ne s’aiment pas eux-mêmes et qui, par conséquent, ne savent pas chercher à plaire.

— Ceci est une autre question, lui dis-je. Je ne puis