Page:Sand - Le Dernier Amour, 1882.djvu/60

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vous répondre, j’ai cinquante ans ; mais Tonino en a vingt et un, et, quoi que vous en pensiez, il aura peut-être bientôt pour vous un sentiment plus vif et plus redoutable pour lui-même que l’amour filial.

— Ne me dites pas cela, monsieur Sylvestre ! Ce n’est pas bien, ce que vous pensez ! Tonino n’a que quinze ans pour la raison, et, quant au moral, je suis d’âge à être sa mère.

— Mais vous n’êtes que sa cousine, et vous n’avez que huit ou neuf ans de plus que lui. S’il vous aimait, je ne vois point pourquoi vous ne l’épouseriez pas ; aucune loi ne s’y oppose.

— Il me serait impossible de l’aimer d’amour, moi, et je me trouverais ridicule de choisir pour mon maître cet enfant que je gouverne et reprends à chaque instant. Cela ne peut entrer dans ma tête ; chassez cette pensée, monsieur Sylvestre, elle me blesse et m’afflige. Dieu merci, Tonino ne sait pas encore ce que c’est que l’amour.

— Alors, n’en parlons jamais, et pardonnez-moi une franchise peut-être indiscrète ; mais je suis vieux, et je croyais pouvoir vous parler de ces choses délicates comme un père parle à sa fille. Pour le repos et la joie de ce brave Tonino, je suis aise de m’être trompé. C’est à vous de veiller sur votre enfant et de donner un aliment à ses passions quand vous les verrez apparaître.

Jean Morgeron vint nous rejoindre, et il ne fut plus question que du torrent et de la prairie.