Page:Sand - Le Diable aux champs.djvu/152

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EUGÈNE. — Messieurs, vous avez tant d’esprit ce matin que : dans la crainte de passer pour une bête, je dis comme vous, face pour la lionne ! (Il remet la pièce dans sa poche sans la regarder.) Que faisons-nous pour la sauver ?

FLORENCE. — Rien, vous me laissez faire. Vous vous entendez à la comédie, je le sais. Vous saisissez donc à demi-mot, et vous me servez de compères !

MAURICE. — Si ça tourne bien, je fais une comédie pour dimanche avec ça.

MYRTO, rentrant. — Ah ! j’ai été longtemps, n’est-ce pas ? C’est une pauvre femme avec un petit enfant malade sur les bras, qui n’en finissait pas de me raconter ses peines, et je ne pouvais pas me décider à lui dire de s’en aller. Tenez, la voilà qui passe. Elle est jolie, cette femme-là !

LA MENDIANTE passant devant la fenêtre. — Encore une fois, que le bon Dieu vous récompense, ma bonne chère dame ! Dieu du ciel, un louis d’or ! et de si bonnes paroles ! Ah ! il n’y en a pas beaucoup, des dames comme ça !

(Elle disparaît)

FLORENCE. — Eh bien ! oui, elles ont un bon cœur, ces dames-là, et c’est pour cela qu’on aime à les retrouver.

MYRTO. — Tiens ! monsieur… chose… monsieur l’ours ! monsieur le millionnaire… monsieur Marigny ! voilà enfin votre diable de nom qui me revient… Vous êtes là, vous n’êtes plus déguisé, et je ne vous voyais pas ! Ma foi, tant mieux, vous ne serez pas de trop. Asseyez-vous là ! Prenez du rhum, ça éclaircit les idées, et écoutez-moi. Je commence, et je vous dirai après de qui et à qui sont ces lettres, si vous ne le devinez pas en les écoutant. Je commence ! Numéro un…

FLORENCE. — Un moment, belle Myrto.

MYRTO. — Tiens ! je crois que vous me tutoyez, vous ! Je ne vous connais pas.

FLORENCE. — Ce n’est pas une raison. Avant que vous commenciez la lecture, moi, j’ai un récit à vous faire en présence de ces estimables témoins.