Page:Sand - Le Diable aux champs.djvu/186

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MYRTO. — Rougi !… Pourquoi, quand on est un philosophe, un homme d’esprit, dire de ces mots-là ?

FLORENCE. — Mon intention n’y met rien d’insultant pour vous, j’eusse rougi de moi-même, de ma faiblesse de ma souffrance, de ma déraison, de mon injustice peut-être.

MYRTO. — Mais pourquoi ça ? Pourquoi ne vous aurais-je pas rendu heureux ?

FLORENCE. — Il eût fallu m’aimer, m’aimer fidèlement, exclusivement ; être toute flamme, tout abandon avec moi, toute réserve, toute pudeur avec les autres. Autrement…

MYRTO. — Autrement, vous auriez été jaloux, terrible ?

FLORENCE. — Non, j’aurais été malheureux.

MYRTO. — Et vous n’auriez pas eu la force de me quitter ?

FLORENCE. — Pardonnez-moi. J’aurais eu la force de vous quitter sans colère et sans outrage ; mais j’aurais fait, une fois de plus, la triste expérience d’une tentative impossible.

MYRTO. — Quelle tentative ? Allons, dites donc ?

FLORENCE. — Celle de vouloir ranimer le feu sacré où il n’y a plus qu’une étincelle.

MYRTO. — Tant qu’il y a une étincelle, celui qui a le cœur dans la poitrine peut, en soufflant dessus…

FLORENCE. — Pour cela, il faut être plus qu’un homme, il faut être un ange.

MYRTO. — Eh bien, vous en êtes un, peut-être ?

FLORENCE. — Non, je ne suis qu’un enfant de mon siècle.

MYRTO. — Mais si l’étincelle cherche d’elle-même à se ranimer ?

FLORENCE. — La corruption du monde est là qui l’étouffe. Que peut faire un individu isolé contre le poids immense de la société, de ses mœurs vicieuses et de l’effroyable fatalité que ces mœurs créent aux individus ?

MYRTO. — Florence ! Marigny !… Comment vous appelez-vous, décidément ?

FLORENCE. — Comme vous avez dit, Florence Marigny.

MYRTO. — Eh bien, Florence Marigny… prenez-le comme vous voudrez, je vous aime !