Page:Sand - Le Diable aux champs.djvu/234

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JEAN. — Je ne suis pas bien pressé de dormir, et vous aurez encore besoin de moi pour tendre la toile verte.

MAURICE. — Non. Nous commençons par habiller nos personnages. C’est le plus pressé, parce que c’est le plus long. Le reste n’est rien.

JEAN. — J’aurais voulu voir le premier décor.

DAMIEN. — C’est bien facile. Aidez-nous, et dites votre avis. Comment la trouvez-vous, mon sergent pompier, cette toile de fond ?

JEAN. — Comme ci, comme ça. Les maisons sont trop petites. Elles sont deux fois plus petites que vos bonshommes. Ils ne pourraient pas entrer dedans.

EUGÈNE. — C’est ce qu’il faut ; dans le lointain ! Est-ce qu’une maison que vous voyez à un quart de lieue ne vous paraît pas plus petite que vous ?

JEAN. — J’entends bien ça ; mais si vous comptez un quart de lieue sur votre théâtre, vous comptez rude. Il n’y a pas un mètre.

MAURICE. — Raison de plus pour faire les maisons petites. Nous créons l’éloignement par l’artifice de la perspective. Comprends-tu, sergent ?

JEAN. — Oui, mais personne n’y sera trompé. On verra toujours bien qu’il n’y a pas là un quart de lieue. Et comment le croirait-on, d’ailleurs, puisque le théâtre est dans une chambre ?

EUGÈNE. — Quel sceptique, quel réaliste que ce Jean-là !

JEAN. — J’entends bien, j’entends bien ! mais si vous faites les maisons si petites, vos arbres ne devraient pas être si verts ; quand on regarde des arbres au loin, ils paraissent plutôt comme bleus ou comme gris que comme verts.

DAMIEN, à Eugène. — Mordu ! Il a raison, notre sergent ! Tes arbres sont trop verts !

EUGÈNE. — Ils paraîtront bleus quand l’éclairage y sera.

JEAN. — En attendant, vous les avez faits avec du vert. Je vous les ai vu faire !

EUGÈNE. — Pour faire du bleu en détrempe qui soit bleu à la lumière, il faut du vert, du vert Véronèse, maître Jean !