Page:Sand - Le Diable aux champs.djvu/255

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GÉRARD, mettant pied à terre. — Non, non, je suis bien aise de vous rencontrer, et je ne veux pas perdre l’occasion de causer avec vous. Il est de si bonne heure que je n’ai pas de motif pour me presser d’arriver où je vais. De quel côté allez-vous pour votre compte ?

FLORENCE. — Je vais du côté de Noirac, et nous pouvons faire un bout de chemin ensemble.

GÉRARD. — J’en serai charmé. Ah çà, vous connaissez le pays… Vous y êtes donc depuis quelque temps ?… Et vous n’êtes pas venu me voir !

FLORENCE. — Je le connais fort peu ; j’y suis depuis quelques jours, et quant à vous aller voir, je n’y ai pas songé, je vous l’avouerai. Vous parliez du monde, tout à l’heure-, je ne suis plus du monde.

GÉRARD. — Pourquoi ça ? parce que vous n’êtes plus riche ? Qu’est-ce que ça fait donc ? Quand on a été du monde, on en est toujours.

FLORENCE. — J’ai donc été du monde ? Je ne le savais pas !

GÉRARD. — Vous plaisantez, mon cher ! On ne peut pas aller dans le monde sans en être ; si on n’en était pas, on n’y serait pas reçu. C’est la réunion des personnes d’un certain rang…

FLORENCE. — Ah ! vous savez très-bien que j’étais extrêmement roturier ; je ne m’en cachais pas.

GÉRARD. — En cela vous faisiez preuve d’esprit. Mais votre éducation, votre tenue, votre savoir-vivre…

FLORENCE. — Selon vous, le monde est donc la réunion des personnes bien nées ou bien élevées ?

GÉRARD. — Mon Dieu, si vous voulez que nous fassions la critique du monde, je le veux bien, et j’avouerai que c’est un amalgame aujourd’hui ; car on y rencontre des gens bien nés qui sont très-mal élevés…

FLORENCE. — Et des gens mal élevés qui ne sont pas du tout bien nés. Tenez, avouez que le monde, c’est la réunion des gens qui ont le moyen d’y aller, et qu’il n’y a plus que deux classes dans la société française : celle qui a de l’argent et celle qui n’en a pas.