Page:Sand - Le Diable aux champs.djvu/81

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DAMIEN. — Et de barbouiller du papier sans avoir une idée !

EUGÈNE. — Mais halte ! Amenez le canot ! Nous voici arrivés.

MAURICE. — Non, c’était plus bas.

EUGÈNE. — Non, non ; voilà le vieux saule, et je tiens à finir mon étude. Quel trognon de saule, hein ? Avec deux lapins rongeant les rejets de ses grosses racines, une corbeille par terre, peut-être un marmot barbotant dans la flaque d’eau, ou un canard majestueux… peut-être un dindon mélancolique perché sur cette branche… Voilà un Flamand.

MAURICE. — Attachons bien le bateau, le courant est rapide. Allons, je vais dessiner aussi ton arbre, ça me servira pour asseoir une Colombine sous l’ombrage, un Arlequin à ses pieds lui offrant des fleurs, et Pierrot caché derrière le saule, montrant sa tête blanche à travers les branches… Il est tout à fait Watteau, cet arbre-là !

DAMIEN. — Moi, je graverai tous les deux, si ça en vaut la peine, mais, en attendant, je vais grimper sur le saule pour chercher des chrysalides dans la poussière de son bois moisi. Diable ! il ne tient à rien, c’est de l’amadou !

MAURICE. — N’y monte pas, ne le casse pas avant que nous l’ayons dessiné. Tiens ! il craque déjà !

DAMIEN. — Eh bien, je vous laisse ! Donne-moi le filet, je vais attraper des arginnis, car j’en vois là-bas qui ont l’air de se moquer de nous.

MAURICE. — Non, non, nous en avons assez de ces papillons-là. Reste donc à chercher avec nous le sujet de la pièce que nous avons promise à Jacques et à son Anglais.

DAMIEN. — Eh bien, ce paresseux d’Émile qui avait si bien promis de s’en occuper !

EUGÈNE. — Ah bien oui ! Il n’a pas le temps, il est retourné à son étude, et il ne pourra revenir avec nous que samedi soir.

DAMIEN. — Eh bien, cherchons ! mais avant tout, je veux un beau public, moi ! Qui aurons-nous ?