Page:Sand - Le Marquis de Villemer.djvu/167

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— Tu t’es joué de ta parole à propos de cette jeune fille. Pour toi, en fait de galanterie, les serments ne comptent pas, je le sais… Sans cela, pourriez-vous persuader tant de femmes, vous autres hommes à bonnes fortunes ? Est-ce que vous ne savez pas éluder tous les engagements ? Était-elle loyale, cette tactique absurde, savante, peut-être, — que sais-je de tous ces jeux-là ? — pour l’amener dans tes bras par la fascination, par le dépit, par tous les côtés faibles ou mauvais de la nature humaine chez la femme ? Est-ce que tu respectes quelque chose, toi ? La vertu n’est-elle pas à tes yeux une infirmité dont il faut guérir une pauvre niaise sans secours et sans expérience ! L’abîme où tu voulais la voir se jeter d’elle-même n’est-il pas, selon toi, l’état rationnel, heureux ou fatal de la fille sans dot et sans aïeux ? Voyons, ne t’es-tu pas moqué de moi, ce matin encore, en voulant me persuader que tu l’épouserais ? Et voilà qu’à l’instant même tu me dis « C’est toi seul qui l’aimes ? pour moi ce n’était qu’une fantaisie ; le désœuvrement, la vanité. » Tenez, elle est effroyable, votre vanité de libertin ! Elle fait tomber dans la boue tout ce qui vous approche ! Vos regards souillent une femme, et c’est déjà trop pour moi que celle-ci ait subi l’outrage de tes pensées. Je ne l’aime plus.

Ayant ainsi parlé à son frère pour la première fois de sa vie, le marquis se leva et s’éloigna de lui rapidement avec une sorte de haine sombre et de malédiction sans appel.