Page:Sand - Le Marquis de Villemer.djvu/212

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sérieuse dont je t’ai souvent parlé. J’ai de la joie à me figurer que j’ai contribué à sa guérison, que j’ai su le soigner sans l’impatienter, et lui persuader tout doucement de vivre un peu comme tout le monde doit vivre pour se bien porter. Je l’ai pris par sa passion même, en lui disant que son talent pourrait bien se ressentir de ses souffrances, et que je ne croyais pas à la lucidité de la fièvre. Tu n’as pas d’idée comme il a été bon pour moi, comme il s’est laissé chapitrer et même gronder par mademoiselle ta sœur, comme il m’a remerciée de mon intérêt, et comme il s’est soumis à toutes mes prescriptions. C’est au point qu’à table il me consulte des yeux sur ce qu’il doit manger, et que quand nous nous promenons, il n’a pas plus de volonté qu’un enfant pour le trajet que le duc et moi voulons lui faire faire. C’est une bien belle âme, je t’assure, et chaque jour je découvre en lui de nouvelles qualités. Je l’avais cru un peu quinteux et très-obstiné ; pauvre être ! c’était sa crise qui le menaçait. Il est au contraire d’une douceur, d’une égalité de caractère dont rien n’approche, et le charme de son commerce ne peut se comparer qu’à la beauté des eaux qui coulent dans notre vallée, toujours limpides, abondantes, entraînées par un mouvement égal et fort, jamais irritées ni capricieuses. Et si je poursuivais la comparaison, je pourrais dire que son esprit a aussi des rives fleuries, des oasis de verdure où l’on peut s’arrêter et rêver délicieusement, car il est très-poète, et je m’étonne toujours qu’il ait soumis les