Page:Sand - Le Marquis de Villemer.djvu/287

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chanter un air dolent qui ressemblait à un chant d’église.

Caroline s’habitua bientôt au vertige ; elle ne voulut pas céder à la tentation de tourner le dos au précipice, comme le paysan le lui indiquait par signes. Le pays était si beau et si étrange, la clarté lunaire le faisait paraître si terrible, qu’elle ne voulait rien perdre d’un spectacle nouveau pour elle. Dans les angles de la rampe, lorsque les bœufs avaient fait tourner les roues de devant et que l’arbre emportait tout d’une pièce les roues de derrière jusqu’à menacer de leur faire franchir le vide, la voyageuse étonnée se roidissait encore un peu involontairement sur son étrier de corde. Le bouvier parlait alors d’un ton calme et doux à ses bêtes, et cette voix, qui semblait mesurer leur pas docile au moindre pli de terrain, rassurait Caroline comme celle d’un esprit mystérieux qui disposait de sa destinée.

— Et pourquoi donc aurais-je peur ? se demandait-elle ; comment pourrais-je tenir à une vie désormais affreuse, à une suite de jours dont la perspective est plus effrayante cent fois que la mort ? Si je tombais là, dans ce gouffre, je serais brisée instantanément. Et quand même j’y souffrirais une ou deux heures avant d’expirer, qu’est-ce que cela au prix des années de chagrin, de solitude et peut-être de désespoir qui m’attendent ?

On voit que Caroline s’avouait enfin son amour et ses regrets. Elle n’en mesurait pas encore toute la