Page:Sand - Le Marquis de Villemer.djvu/302

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écoulés depuis que sa race avait pris racine dans ces pierres.

« Tu vois que je me promène, et que la prudence n’exige pas que je vive enfermée, comme tu le craignais pour moi. Au contraire, n’ayant rien à lire ici, j’éprouve un grand besoin de courir, et ma locomotion étonne beaucoup moins les gens de Lantriac que ne le ferait une retraite mystérieuse. Je ne cours pas risque de faire des rencontres. Tu m’as vue partir avec des vêtements qui ne peuvent pas attirer la moindre attention. En outre, j’ai un chapeau de feutre noir plus grand que ceux que l’on porte ici, et qui m’abrite très-bien le visage. Au besoin, je peux me le cacher tout à fait avec ce capuchon brun que j’ai emporté, et que la saison capricieuse me permet de mettre à la promenade. Je ne suis pas tout à fait pareille aux femmes du pays ; mais rien dans ma personne ne fait événement dans les endroits où je passe.

« D’ailleurs j’ai, pour me promener, un prétexte qui arrange tout. Justine fait un petit commerce de mercerie et me confie une boîte dont j’offre le contenu pendant que Peyraque, qui est vétérinaire, s’occupe de visiter les animaux malades. Cela me permet d’entrer dans les maisons et d’examiner les mœurs et les usages du pays. Je ne vends guère, car les femmes sont si absorbées par leur métier à dentelle qu’elles ne raccommodent ni leurs maris, ni leurs enfants, ni elles-mêmes. C’est ici le triomphe de la guenille portée avec ostentation. La dévotion est si exaltée qu’elle