Page:Sand - Le Marquis de Villemer.djvu/305

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de toile qui a la prétention de nous abriter. Il attelle à ce véhicule tantôt un petit mulet intrépide, tantôt un petit cheval ardent et doux, qui, comme son maître n’a que la peau et les os, mais qui, pas plus que lui, ne se rebute de quoi que ce soit. Ainsi, tandis que le fils aîné de Justine, qui arrive du régiment, où il ferrait les chevaux de l’artillerie, continue son état dans la maison paternelle, le père et moi, nous courons par monts et par vaux, quelque temps qu’il fasse. Justine prétend que cela me fait tant de bien qu’il faut que je reste avec elle toujours, et elle jure qu’elle trouvera moyen de me faire gagner notre vie sans me rabaisser à servir les grandes dames.

« Hélas ! je ne me sentais point rabaissée tant que je me suis sentie aimée, et puis j’aimais si sincèrement, moi ! Croirais-tu que je me sens, non pas seulement affligée de ne plus être bénie chaque matin par cette pauvre vieille marquise, mais encore inquiète, effrayée à propos d’elle, comme si je devinais qu’elle ne pourra pas vivre sans moi ? Ah ! Dieu fasse qu’elle m’oublie bien vite, qu’elle m’ait déjà remplacée par une personne moins funeste que moi à son repos ! Mais la soignera-t-on, moralement parlant, comme je la soignais  ? Saura-t-on deviner ses fantaisies d’esprit, éloigner l’ennui de ses heures oisives, lui parler de ses enfants comme elle aimait à en entendre parler ? En arrivant ici, j’ai respiré ce grand air à pleins poumons, j’ai regardé cette nature âpre et grandiose que j’avais tant souhaité de connaître. Je me suis dit : Me voilà