Page:Sand - Le Marquis de Villemer.djvu/55

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quée. La nature aussi avait été partiale envers lui. Plus grand, plus beau, plus fort, plus brillant, plus actif en apparence que son frère, plus expansif, plus caressant, dès l’enfance il avait paru à tout le monde le mieux doué et le plus aimable. Longtemps chétif et taciturne, le marquis n’avait montré de passion que pour l’étude, et ce qui eût semblé un grand avantage chez un plébéien fut considéré comme une bizarrerie chez un homme de qualité. Cette aptitude fut donc combattue plutôt qu’encouragée, et c’est pour cela précisément qu’elle devint une passion : passion absorbante et dès lors sans épanchement, qui développa dans l’âme du jeune homme une vive sensibilité intérieure et un enthousiasme d’autant plus ardent qu’il était renfermé. Le marquis était infiniment plus aimant que son frère et passait pour un homme froid, tandis que le duc, essentiellement bienveillant et communicatif, passa longtemps pour une âme de feu, sans aimer exclusivement personne.

Cette fougue de tempérament qui avait donné le change, le duc la tenait de son père, et, dans ses premières années, la vivacité de ses manières avait inquiété la marquise. Nous avons dit qu’après la mort de son second mari elle avait été fort exaltée, et que, pendant près d’une année, elle avait redouté la vue de ses enfants. Lorsque cette maladie morale fit place aux sentiments de la nature, son premier mouvement fut de serrer dans ses bras le fils de l’époux aimé. Celui-ci, étonné et comme effrayé de l’impétuosité des