Page:Sand - Le Marquis de Villemer.djvu/68

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

tu ? J’ai vraiment besoin d’un ami, je n’en ai pas. Une passion muette a absorbé ma vie. Ton affection me rajeunirait.

Le duc fut vivement touché de l’abandon naïf et doux de son frère. Il s’était attendu à des enseignements, à des conseils, à des consolations qui lui eussent fait la part de l’homme faible en présence de l’homme fort ; au contraire c’était à lui qu’Urbain demandait de la force et de la pitié. Que ce fût de la part du marquis besoin réel ou délicatesse suprême, le duc était trop intelligent pour n’être pas frappé de ce changement de rôles. Il lui témoigna donc une vive affection, une tendre sollicitude, et après avoir causé toute l’après-midi en se promenant dans le bois, les deux frères prirent un fiacre pour aller dîner ensemble chez leur mère.

Depuis quelques jours, la marquise était assez troublée intérieurement. Elle avait craint la résistance d’Urbain quand il saurait le chiffre des dettes de son frère. Quelque grande que fût son estime pour lui, elle n’avait pas prévu jusqu’où irait son désintéressement. N’ayant pas reçu sa visite dans cette matinée, elle devenait sérieusement inquiète, quand, au moment de se mettre à table, elle vit arriver ses deux fils. Elle trouva sur leurs visages un certain rayonnement de calme attendri qui d’abord lui fit deviner ce qui s’était passé ; puis, comme il restait une visite qui tardait à s’en aller, et qu’elle ne pouvait les interroger, elle se dit avec effroi qu’elle se trompait,