Page:Sand - Le Marquis de Villemer.djvu/69

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et que ni l’un ni l’autre ne connaissait la situation.

Mais quand on fut à table, elle remarqua qu’ils se tutoyaient. Elle comprit tout, et la présence de Caroline et de ses gens l’empêchant d’exprimer son émotion, elle affecta de la gaieté pour cacher sa joie, tandis que de grosses larmes d’attendrissement coulaient sur le sourire de ses joues flétries. Caroline aperçut ces larmes en même temps que le marquis, et son regard inquiet s’adressa naïvement au sien, comme pour lui demander si la marquise cachait une satisfaction ou une souffrance. Le marquis lui répondit de même pour rassurer sa sollicitude, et le duc, qui surprit ce muet et rapide dialogue, sourit avec une malice bienveillante. Ni Caroline ni le marquis ne donnèrent d’attention à ce sourire. Il y avait trop de bonne foi dans la sympathie qu’ils éprouvaient l’un pour l’autre. Caroline conservait son aversion et sa mésestime pour le duc. Elle continuait à lui en vouloir d’être si aimable et de savoir paraître si bon. Elle pensait bien que madame de D… avait exagéré un peu sa perversité mais, frappée malgré elle d’une crainte vague, elle évitait de le voir, et, placée en face de lui, elle s’efforçait d’oublier sa figure. Au dessert, les gens étant sortis, l’entretien devint un peu plus intime. Caroline demanda timidement à la marquise si elle ne pensait pas que la pendule fût en retard.

— Non, non, pas encore, chère enfant ! répondit la vieille dame avec bonté.