Page:Sand - Le Péché de Monsieur Antoine, Pauline, L’Orco, Calman-Lévy, 18xx, tome 1.djvu/122

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

toine se plaindre de quelque chose, je ne puis me défendre de le blâmer, car enfin quel homme a jamais été plus favorisé que lui ?

— Mais je ne me plains jamais de rien, répondit M. Antoine, et ton reproche est injuste.

— Oh ! vous avez quelquefois l’air de vouloir dire que vous ne faites pas aussi bonne figure ici que par le passé, et en cela vous avez tort. Voyons, étiez-vous plus riche quand vous aviez trente mille livres de rente ? On vous volait, on vous pillait, et vous n’en saviez rien. Aujourd’hui vous avez le nécessaire et vous ne pouvez pas craindre les filous ; on sait que vous ne cachez pas des rouleaux de louis dans votre paillasse. Vous aviez dix domestiques ; tous plus gourmands, plus ivrognes et plus paresseux les uns que les autres ; des domestiques de Paris, c’est tout dire ! Aujourd’hui, vous avez M. Sylvain Charasson, un paresseux et un gourmand aussi, j’en conviens (et en disant ces mots, Janille éleva la voix, afin que Sylvain les entendît de la cuisine) ; puis elle ajouta plus bas :

« Mais ses bêtises vous font rire, et quand il casse quelque chose, vous n’êtes pas fâché de n’être pas le plus maladroit de la maison. Vous aviez dix chevaux, toujours mal tenus, et hors de service par le manque de soins ; vous avez aujourd’hui votre vieille Lanterne, la meilleure bête qu’il y ait au monde, toujours propre, courageuse, et sobre, il faut la voir ! elle mange des feuilles sèches et des ajoncs comme une vraie chèvre. Parlerons-nous des chèvres ? où en trouverons-nous de plus jolies ? Deux vraies biches, excellentes en lait ; et qui vous réjouissent par leurs jolies cabrioles, en grimpant sur les ruines pour votre comédie du soir !… Parlerons-nous de la cave ? Vous en aviez une bien garnie, mais où vos coquins de laquais baptisaient le vin à plaisir, et vous ne buviez que leurs restes. À présent, vous buvez votre petit clairet du