Page:Sand - Le Péché de Monsieur Antoine, Pauline, L’Orco, Calman-Lévy, 18xx, tome 1.djvu/146

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avait attaché son cheval. « Vous avez là une jolie petite bête, lui dit-il en examinant Corbeau d’un air de connaisseur. C’est un brennoux, bonne race, solide et sobre. Êtes-vous bon cavalier ?

— J’ai plus d’habitude et de hardiesse que de science, répondit Émile ; je n’ai pas encore eu le temps d’apprendre l’équitation par principes, mais je compte le faire dès que l’occasion sera favorable.

— C’est un noble et salutaire exercice, reprit le marquis ; si vous voulez venir me voir quelquefois, je mettrai le peu que je sais à votre service. »

Émile accepta avec politesse l’offre du marquis ; mais il ne put s’empêcher de jeter un coup d’œil sur le fluet personnage qui se posait devant lui en professeur.

« Cet animal est-il bien dressé ? demanda M. de Boisguilbault en caressant l’encolure de Corbeau.

— Il est docile et généreux, mais c’est d’ailleurs un ignorant comme son maître.

— Je n’aime pas beaucoup les animaux, reprit le marquis ; pourtant je m’occupe quelquefois de ceux-là, et je vous ferai voir d’assez beaux élèves. Voulez-vous me permettre d’essayer les qualités du vôtre ? »

Émile s’empressa de présenter au vieux marquis le flanc de son coursier ; mais, dans la crainte d’un accident, et voyant avec quelle lenteur et quelle difficulté le vieillard s’enlevait sur l’étrier, il ne put s’empêcher de le prévenir, au risque de lui faire injure, que Corbeau était un peu vif et chatouilleux.

Le marquis reçut cet avis sans orgueil, mais n’en persista pas moins dans son projet avec une gravité assez comique. Émile tremblait pour son vieux hôte, et Corbeau tressaillait de colère et de crainte sous cette main étrangère. Il essaya même d’entrer en révolte, et, à la douceur du marquis envers cette rébellion, on eût dit