Page:Sand - Le Péché de Monsieur Antoine, Pauline, L’Orco, Calman-Lévy, 18xx, tome 1.djvu/150

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un rare esprit de convenance et de dignité. Il allait jusqu’à offrir aussi sa caution pour Jean Jappeloup, au cas, chose impossible pourtant, disait-il, où M. de Boisguilbault, qui avait prévenu ses intentions, se désisterait de sa parole. Quand ces lettres furent signées et fermées, il dit à Émile de les faire partir de suite par un exprès, et il ajouta :

« Maintenant j’ai fait ta volonté ; j’ai interrompu mes occupations pour que ton protégé n’eût pas à souffrir du moindre retard. Je retourne à mes travaux. Nous dînerons dans une heure, et tu tiendras ensuite compagnie à ta mère, que tu as un peu délaissée tout le jour. Mais ce soir, quand les ouvriers auront fini leur tâche, j’espère que tu seras tout à moi, et que je pourrai t’entretenir de choses sérieuses.

— Mon père, je suis à vous ce soir et toute ma vie, vous le savez bien », dit Émile en l’embrassant.

M. Cardonnet s’applaudit de n’avoir pas cédé à un premier mouvement d’humeur ; il venait de ressaisir tout son ascendant sur Émile. Le soir, lorsque l’usine étant fermée, les ouvriers furent congédiés, il se rendit dans une partie de son jardin que l’inondation n’avait pu atteindre, et se promena longtemps seul, réfléchissant à ce qu’il allait dire à cet enfant difficile à manier, et ne voulant pas le faire appeler avant de se sentir parfaitement maître de lui-même.

La fatigue fiévreuse qui suit une journée de surveillance et de commandement, le spectacle de dévastation qu’il avait encore sous les yeux, et peut-être aussi l’état de l’atmosphère, n’étaient pas très propres à calmer l’irritation nerveuse habituelle chez M. Cardonnet. La température avait éprouvé une révolution trop soudaine et trop violente pour n’être pas encore insolite et relâchée. L’air tiède était chargé de vapeurs, comme au mois de