Page:Sand - Le Péché de Monsieur Antoine, Pauline, L’Orco, Calman-Lévy, 18xx, tome 1.djvu/155

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enfants. Tu montrais d’heureuses dispositions ; mais ce n’était encore que pour des arts futiles, des choses d’agrément, le dessin, la musique, la poésie… J’ai dû combattre et j’ai combattu le développement de ces instincts d’artiste, quand j’ai vu qu’ils menaçaient d’envahir des facultés plus nécessaires et plus sérieuses.

« En créant ta fortune, je créais tes devoirs. Les beaux arts sont la bénédiction et la richesse du pauvre ; mais la richesse exige des forces mieux trempées pour supporter le poids des obligations qu’elle impose. Je me suis interrogé moi-même ; j’ai vu ce qui avait manqué à mon éducation, et j’ai pensé que nous devions nous compléter l’un par l’autre, puisque nous étions, par la loi du sang, solidaires de la même entreprise. J’avais l’intelligence des théories industrielles auxquelles je me suis voué ; mais, n’ayant pas été rompu à la pratique d’assez bonne heure, n’ayant pas étudié la spécialité de ma vocation, n’arrivant que par l’instinct et une sorte de divination aux solutions de la géométrie et de la mécanique, j’étais exposé à faire des fautes, à m’engager dans de fausses voies, à me laisser égarer par mes rêves ou ceux des autres, enfin à perdre, outre des sommes d’argent, des jours, des semaines, des années, le temps enfin, qui est le plus précieux de tous les capitaux. J’ai donc voulu que tu fusses instruit dans ces sciences au sortir du collège, et tu t’es astreint, malgré ton jeune âge, à des travaux ardus. Mais ton esprit a voulu bientôt prendre un essor qui t’éloignait de mon but.

« L’étude des sciences exactes te conduisait, malgré moi, malgré toi-même, à la passion des sciences naturelles, et, prenant des chemins de rencontre, tu ne songeais qu’à l’astronomie et aux rêveries des mondes où nous ne pouvons pénétrer. Après une lutte où je ne fus pas le plus fort, je te fis abandonner ces sciences, faute