Page:Sand - Le Péché de Monsieur Antoine, Pauline, L’Orco, Calman-Lévy, 18xx, tome 1.djvu/156

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

de pouvoir te ramener à une saine et utile application ; et renonçant à faire de toi un mécanicien, je cherchai en quoi tu pourrais m’être utile. Quand je dis m’être utile, j’imagine que tu ne te méprends pas sur le sens des mots. Ma fortune étant la tienne, je devais te former pour cette œuvre qui bientôt aura probablement usé ma vie à ton profit ; c’est dans l’ordre. Je suis heureux de faire mon devoir, et j’y persisterai malgré toi, s’il le faut. Mais la raison et l’amour paternel ne devaient-ils pas me pousser à te rendre propre, sinon au développement, du moins à la conservation et à la défense de cette fortune ? L’ignorance où j’étais de la législation m’avait mis cent fois à la merci des conseils ignares ou perfides ; j’avais été la proie de ces parasites de la chicane, qui, n’ayant ni vrai savoir, ni saine intelligence des affaires, exigent une soumission aveugle de leurs clients, et compromettent leurs plus graves intérêts par sottise, entêtement, présomption, fausse tactique, vaines subtilités et le reste. Je me suis dit alors qu’avec une intelligence claire et prompte comme la tienne, tu pouvais, en peu d’années, apprendre le droit, et te faire une assez juste idée des détails de la procédure, pour n’avoir jamais besoin d’autre guide, d’autre conseil, d’autre confident, surtout, que toi-même. Je n’ai jamais voulu faire de toi un rhéteur, un avocat, un comédien de cour d’assises ; mais je t’ai demandé de prendre tes inscriptions et de passer tes examens… Tu me l’avais promis !

— Eh bien, mon père, me suis-je révolté, ai-je manqué à ma parole ? dit Émile, surpris d’entendre M. Cardonnet parler avec un mépris superbe et quasi insolent de ces professions, dont il avait essayé de faire ressortir l’honneur et l’éclat, lorsqu’il s’était agi de décider son fils à les étudier.

— Émile, reprit l’industriel, je ne veux pas te faire de reproches ; mais tu as une manière passive et apathique