Page:Sand - Le Péché de Monsieur Antoine, Pauline, L’Orco, Calman-Lévy, 18xx, tome 1.djvu/159

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vons compte de notre labeur à la génération qui nous précède et qui nous forme, et à celle qui nous suit et que nous formons. C’est pourquoi les liens de famille sont sacrés, et l’héritage inaliénable, malgré vos belles théories communistes auxquelles je n’ai jamais pu rien comprendre, parce qu’elles ne sont pas mûres, et qu’il faut encore des siècles au genre humain pour les admettre. Réponds-moi, que veux-tu faire ?

— Je n’en sais absolument rien, répondit Émile accablé sous l’étroitesse et la froideur de tant de lieux communs, débités avec une facilité hautaine et brutale. Vous tranchez si fièrement des questions qu’il me faudra peut-être toute ma vie pour résoudre, que je ne saurais vous suivre dans cette course ardente vers un but inconnu. Je suis trop faible et trop borné apparemment pour trouver dans ma propre activité la récompense ou le motif de tant d’efforts. Mes goûts ne m’y portent nullement. J’aime le travail de l’esprit, et j’aimerais celui du corps, si l’un devenait le serviteur de l’autre pour conquérir les satisfactions du cœur ; mais travailler pour acquérir, et acquérir pour conserver, et pour acquérir encore, jusqu’à ce que la mort mette un terme à cette soif aveugle, voilà ce qui n’a ni sens ni attrait pour moi. Il n’est en moi aucune faculté que vous puissiez employer à cet usage ; je ne suis pas né joueur, et les chances passionnées de la hausse et de la baisse d’une fortune ne me causeront jamais la moindre émotion.

« Si mes aspirations et mes enthousiasmes sont des chimères indignes d’un esprit sérieux, s’il n’y a pas une vérité éternelle, une raison divine des choses, un idéal qu’on puisse porter dans l’âme, pour se soutenir et se diriger à travers les maux et les injustices du présent, je n’existe plus, je ne crois plus à rien ; je consens à mourir pour vous, mon père ; mais vivre et combattre comme