Page:Sand - Le Péché de Monsieur Antoine, Pauline, L’Orco, Calman-Lévy, 18xx, tome 1.djvu/161

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et quasi impossibles dans le temps et le monde où nous vivons ?

— Oui, mon père, je le crois fermement.

— Moi, je ne le pense pas. Je suis moins misanthrope à cinquante ans que toi à vingt et un : j’ai moins mauvaise opinion de mes semblables, apparemment faute de posséder tes lumières et la sûreté de ton coup d’œil !…

— Au nom du ciel ! ne me raillez pas, mon père, vous me déchirez le cœur.

— Eh bien, parlons sérieusement. Je veux bien supposer avec toi que ces vertus soient la religion et la règle d’un petit nombre. Me feras-tu au moins l’honneur de supposer qu’elles ne sont pas absolument inconnues à ton père ?

— Mon père, la plupart de vos actions m’ont prouvé que faire le bien était votre unique ambition. Pourquoi donc vos paroles semblent-elles prendre à tâche de me prouver que vous avez un but moins noble ?

— Voilà où j’en veux venir précisément. Tu m’accordes d’avoir une conduite irréprochable, et pourtant tu te scandalises de m’entendre invoquer le calme de la raison et les conseils de la saine logique. Dis-moi, que penserais-tu de ton père si, à toute heure, tu l’entendais déclamer contre ceux qui n’imitent pas son exemple ? Si, se posant en modèle, et tout gonflé de l’amour et de l’admiration de lui-même, il te fatiguait à tout propos de son propre éloge et d’anathèmes lancés au reste du genre humain ? Tu garderais le silence et tu jetterais un voile sur ce ridicule travers ; mais, malgré toi, tu penserais que ton brave homme de père a une faiblesse déplorable et que sa vanité nuit à son mérite.

— Sans doute, mon père, j’aime mieux votre réserve et le bon goût de votre modestie ; mais lorsque nous sommes seuls ensemble, et dans les rares et solennelles oc-