Page:Sand - Le Péché de Monsieur Antoine, Pauline, L’Orco, Calman-Lévy, 18xx, tome 1.djvu/166

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procuré à toute une province les bienfaits de l’industrie ! Et ne sommes-nous pas déjà sur la voie ? Le travail n’est-il pas la source et l’aliment du travail ? ne faisons-nous pas travailler déjà ici plus d’hommes en un jour que l’agriculture et les petites industries barbares que je tends à supprimer n’en occupaient dans un mois ? Leurs salaires ne sont-ils pas augmentés ? Ne sont-ils pas à même d’acquérir l’esprit d’ordre, la prévoyance, la sobriété, toutes les vertus qui leur manquent ? Où donc sont cachées ces vertus, seul bonheur du pauvre ? dans le travail absorbant, dans la fatigue salutaire et dans le salaire proportionné. Le bon ouvrier a l’esprit de famille, le respect de la propriété, la soumission aux lois, l’économie, l’habitude et les trésors de l’épargne. C’est l’oisiveté de tous les mauvais raisonnements qu’elle engendre qui le perdent. Occupez-le, écrasez-le de besogne ; il est robuste, il le deviendra davantage ; il ne rêvera plus le bouleversement de la société. Il mettra de la règle dans sa conduite, de la propreté dans sa maison, il y apportera le bien-être et la sécurité. Et s’il devient vieux et infirme, quelque bonne volonté que vous ayez de le secourir, ce ne sera plus nécessaire. Il aura songé lui-même à l’avenir ; il n’aura pas besoin d’aumônes et de protections comme votre ami Jappeloup le vagabond ; il sera véritablement un homme libre. Il n’y a pas d’autre moyen de sauver le peuple, Émile. Je suis fâché de te dire que ce sera plus long à réaliser qu’une utopie à concevoir ; mais si l’entreprise est rude et longue, elle est digne d’un philosophe comme toi, et je ne la trouve pas au-dessus des forces d’un travailleur de mon espèce.

— Quoi ! c’est là tout l’idéal de l’industrie, dit Émile, écrasé sous cette conclusion. Le peuple n’a pas d’autre avenir que le travail incessant, au profit d’une classe qui ne travaillera jamais ?