Page:Sand - Le Péché de Monsieur Antoine, Pauline, L’Orco, Calman-Lévy, 18xx, tome 1.djvu/172

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régit la brute est encore l’âme de notre prétendue civilisation, et nous osons dire que l’industrie va sauver le monde sans sortir de cette voie ! Non, non, mon père, erreur et mensonge que toutes ces déclamations de l’économie politique à l’ordre du jour ! Si vous me forcez à être riche et puissant, comme vous me l’avez dit tant de fois, et si, en raison de la grossière influence de l’argent, les adorateurs de l’argent m’envoient représenter leurs intérêts aux conseils de la nation, je dirai ce que j’ai dans l’âme ; je parlerai, et je ne parlerai qu’une fois sans doute : car on m’imposera silence ou l’on me fera sortir de l’enceinte ; mais ce que je dirai, on s’en souviendra ; et ceux qui m’auront élu se repentiront de leur choix ! »

Cette discussion se prolongea fort avant dans la nuit, et on peut bien penser qu’Émile ne convertit pas son père. M. Cardonnet n’était ni méchant, ni impie, ni coupable volontairement envers Dieu ou les hommes. Il avait même bien réellement certaines vertus pratiques et une grande capacité spéciale. Mais son caractère de fer était le résultat d’une âme absolument vide d’idéal.

Il aimait son fils et ne pouvait le comprendre. Il soignait et protégeait sa femme, mais il n’avait jamais songé qu’à étouffer en elle toute initiative qui eût pu embarrasser sa marche journalière. Il eût voulu pouvoir réduire Émile de la même façon ; mais, reconnaissant que cela était impossible, il en éprouva un violent chagrin, et même ces larmes de dépit mouillèrent ses paupières brûlantes dans cette veillée orageuse. Il croyait sincèrement être dans la logique, dans la seule véritablement admissible et praticable.

Il se demandait par quelle fatalité il avait pour fils un rêveur et un utopiste, et plus d’une fois il éleva vers le ciel ses bras d’athlète, demandant avec une angoisse