Page:Sand - Le Péché de Monsieur Antoine, Pauline, L’Orco, Calman-Lévy, 18xx, tome 1.djvu/173

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inexprimable, quel crime il avait commis, pour être frappé d’un tel malheur.

Émile, épuisé de fatigue et de chagrin, finit par avoir pitié de cette âme blessée et de cet incurable aveuglement.

« Ne parlons donc plus jamais de ces choses-là, mon père, dit-il en essuyant aussi des larmes qui prenaient leur source plus avant dans son cœur : nous ne pouvons nous identifier l’un à l’autre. Je ne puis que continuer à faire acte de soumission et d’amour filial, sans me préoccuper davantage de moi-même et d’un bonheur que je vous sacrifie. Que m’ordonnez-vous ?

« Dois-je retourner à Poitiers et y terminer mes études jusqu’à ce que je passe mes examens ? Dois-je rester ici et vous servir de secrétaire ou de régisseur ? Je fermerai les yeux, et je travaillerai comme une machine tant qu’il me sera possible ! Je me considérerai comme votre employé, je serai à votre service…

— Et tu ne me regarderas plus comme ton père ? dit M. Cardonnet. Non, Émile, reste auprès de moi, sois libre, je te donne trois mois, pendant lesquels, vivant dans le sein de ta famille, loin des déclamations des philosophes imberbes qui t’ont perdu, tu reviendras toi-même à la raison. Tu es doué d’un tempérament robuste, et le travail absorbant de la pensée t’a peut-être trop échauffé le cerveau. Je te considère comme un enfant malade et te reprends à la campagne pour te guérir. Promène-toi, chasse, monte à cheval, distrais-toi, en un mot, afin de rétablir ton équilibre qui me paraît plus dérangé que celui de la société. J’espère que tu adouciras ton intolérance, en voyant que ton intérieur n’est pas un foyer de scélératesse et de corruption. Dans quelque temps, peut-être, tu me diras que les rêveries creuses t’ennuient et que tu sens le besoin de m’aider volontairement. »