Page:Sand - Le Péché de Monsieur Antoine, Pauline, L’Orco, Calman-Lévy, 18xx, tome 1.djvu/215

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Mais l’absence d’êtres humains et d’animaux domestiques, dans cette retraite champêtre, se fit trop vite remarquer pour qu’il fût possible d’entretenir la moindre illusion.

Rien n’y manquait pourtant : ni la colline couverte de mousse et plantée de sapins, ni le filet d’eau cristallin tombant à la porte dans une auge de pierre, et s’en échappant avec un doux murmure ; la maisonnette tout entière en bois résineux coquettement découpé en balustrades, et adossée à des blocs granitiques, le joli toit à grands rebords, l’intérieur meublé à l’allemande, et jusqu’au service en poterie bleue : tout cela neuf, propre, brillant, silencieux et désert, ressemblait à un beau joujou de Fribourg plus qu’à une habitation rustique.

Il n’y avait pas jusqu’aux figures ternes et raides du vieux marquis et de son vieux majordome qui ne donnassent l’idée de personnages en bois peint, adaptés là pour compléter la ressemblance.

« Vous avez été en Suisse, monsieur le marquis ? lui dit Émile, et ceci est un souvenir de prédilection.

— J’ai peu voyagé, répondit M. de Boisguilbault, quoique je fusse parti un jour avec l’intention de faire le tour du monde. La Suisse se trouva sur mon chemin ; le pays me plut, et je n’allai pas plus loin, me disant que je me donnerais sans doute beaucoup de peine pour ne rien trouver de mieux.

— Je vois que vous préférez ce pays-ci à tous les autres, et que vous y êtes revenu pour toujours ?

— Pour toujours, assurément.

— C’est la Suisse en petit, et si l’imagination y est moins excitée par des spectacles grandioses, les fatigues et les dangers de la promenade y sont moindres.

— J’avais d’autres raisons pour me fixer dans ma propriété.