Page:Sand - Le Péché de Monsieur Antoine, Pauline, L’Orco, Calman-Lévy, 18xx, tome 1.djvu/217

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goût muet et profond de la vie, sur des fronts austères.

— Oui, voilà pourquoi mon extérieur vous repousse. Ne craignez pas de le dire. Vous n’êtes pas le premier, et je m’y attendais.

— Repousser n’est pas le mot, puisqu’en dépit de l’espèce de stupeur magnétique où vous me jetez, je suis entraîné vers vous par un attrait bizarre.

— Bizarre !… oui, très-bizarre, et c’est vous qui êtes le plus excentrique de nous deux. J’ai été frappé, dès le premier instant où je vous ai vu, de ce qu’il y avait en vous de dissemblance aux caractères des gens que j’ai connus dans ma jeunesse.

— Et cette impression m’a-t-elle été défavorable, monsieur le marquis ?

— Bien au contraire, répondit M. de Boisguilbault de cette voix sans inflexion qui ne laissait jamais apprécier la portée de ses réponses. Martin, ajouta-t-il en se penchant vers son vieux serviteur qui se pliait en deux pour l’entendre, vous pouvez remporter tout cela. Y a-t-il encore des ouvriers dans le parc ?

— Non, monsieur le marquis, plus personne.

— En ce cas, fermez la porte en vous retirant. »

Émile resta seul avec son hôte dans la solitude de ce grand parc. Le marquis lui prit le bras et l’emmena s’asseoir sur les rochers, au-dessus du chalet, dans une situation admirable.

Le soleil, en s’abaissant sur l’horizon, projetait de grandes ombres des peupliers, comme un rideau coupé de chaudes clartés, d’un travers à l’autre des collines. Les horizons violets montaient dans un ciel nuancé comme l’opale, au-dessus d’un océan de sombre verdure, et les bruits du travail dans la campagne, en s’affaiblissant peu à peu, laissaient entendre plus distinctement la voix des torrents et le chant plaintif des tourterelles.