Page:Sand - Le Péché de Monsieur Antoine, Pauline, L’Orco, Calman-Lévy, 18xx, tome 1.djvu/224

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mandant pardon, du fond de mon cœur, de la manière dont je vous les ai arrachés. J’étais loin de croire que vous eussiez de telles idées, et j’étais attiré vers vous par la curiosité plus que par le respect. Mais désormais comptez que vous trouverez en moi un dévouement filial, si vous me jugez digne de vous le témoigner.

— Je n’ai jamais eu d’enfants, répondit le marquis en prenant la main d’Émile dans la sienne, où il la garda quelques instants ; car il sembla être ranimé, et une sorte de chaleur vitale s’était communiquée à sa peau sèche et douce. Peut-être n’étais-je pas digne d’en avoir. Peut-être les eussé-je mal élevés ! Néanmoins j’ai beaucoup regretté de n’avoir pas ce bonheur. À présent, je suis résigné à mourir tout entier ; mais si un peu d’affection étrangère me vient du dehors, je l’accepterai avec reconnaissance. Je ne suis pas très-confiant. La solitude rend poltron. Mais je ferai pour vous quelque effort sur mon caractère, afin que vous n’ayez pas à souffrir de mes défauts, et surtout de ma maussaderie, qui fait horreur à tout le monde.

— C’est que le monde ne vous connaît pas, reprit Émile ; on vous juge bien différent de ce que vous êtes. On vous croit orgueilleux et obstinément attaché à la chimère des antiques privilèges. Vous avez pris, sans doute, un soin cruel envers vous-même à ne vous laisser deviner par personne.

— Et pourquoi me serais-je expliqué ? Qu’importe ce qu’on pense de moi, puisque, dans le milieu où je végète, mes vraies opinions paraîtraient encore plus ridicules que celles qu’on me suppose ?

« S’il y avait quelque profit, pour la cause que mon esprit a embrassée, à lui apporter publiquement mon hommage ou mon adhésion, aucune moquerie ne m’en détournerait : mais cette adhésion, de la part d’un homme