Page:Sand - Le Péché de Monsieur Antoine, Pauline, L’Orco, Calman-Lévy, 18xx, tome 1.djvu/236

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

plein midi. Il faisait cruellement chaud ce jour-là ! c’était le même jour où vous êtes arrivé dans le pays. Eh bien, Gilberte prit le sentier de traverse, sentier bien dur et bien dangereux, où les cavaliers n’auraient pu la suivre, et arriva un quart d’heure avant eux, toute rouge, toute essoufflée, pour me réveiller et me dire de gagner au large.

« Elle en a été malade, la pauvre chère âme, et ses parents n’en ont rien su. Voilà surtout ce qui me rendait soucieux le soir, quand nous avons soupé à Châteaubrun, et que Janille nous a dit qu’elle était couchée. Oh oui ! cette petite-là a toujours été d’un grand cœur.

« Si le roi de France savait ce qu’elle vaut, il serait trop honoré de l’obtenir en mariage pour le meilleur de ses fils.

« Elle n’était pas plus grosse que mon poing, qu’on voyait déjà que ça serait joli et aimable comme tout.

« Vous aurez beau chercher dans les grandes dames et dans les plus riches, mon garçon, jamais vous ne trouverez par là une Gilberte comme celle de Châteaubrun ! »

Émile l’écoutait avec délices, lui adressait mille questions, et lui faisait raconter dix fois les mêmes histoires.

M. Cardonnet ne fut pas longtemps sans découvrir la cause du changement survenu chez Émile. Plus de tristesse, plus de réticences pénibles, plus de reproches détournés.

Il semblait qu’Émile n’eût jamais été en opposition avec lui sur quoi que ce soit, ou du moins qu’il n’eût jamais remarqué que son père avait d’autres vues que les siennes.

Il était redevenu enfant à beaucoup d’égards ; il ne soupirait point à tel ou tel projet d’études ; il ne voyait plus les choses qui eussent pu blesser ses principes ; il ne rêvait que belles matinées de soleil, longues promenades, précipices à franchir, solitudes à explorer ; et pourtant il