Page:Sand - Le Péché de Monsieur Antoine, Pauline, L’Orco, Calman-Lévy, 18xx, tome 1.djvu/245

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

table, je ne retrouve pas là votre haute sagesse et votre tolérance accoutumées. Je serais donc plus patient que vous, moi, que vous traitez souvent de volcan en éruption, car les distractions de M. Antoine me divertissent plus qu’elles ne m’irritent, et j’y vois une preuve de l’abandon de son âme et de la naïveté de son esprit.

— Émile, Émile, vous ne pouvez pas juger ces choses-là ! reprit M. de Boisguilbault, embarrassé. Je suis fort distrait moi-même, et je souffre de mes propres méprises. Celles des autres me sont apparemment insupportables… L’affection ne vit, dit-on, que de contrastes. Deux sourds ou deux aveugles s’ennuient ensemble. Bref, j’étais las de cet homme-là ! Ne m’en parlez pas davantage.

— Je ne saurais croire que cette injonction soit sérieuse. Ô mon noble ami, tournez votre déplaisir contre moi seul, si j’insiste ; mais il m’est impossible de ne pas voir que cette rupture fâcheuse est un de vos principaux sujets de tristesse. Vous vous la reprochez au fond de l’âme, comme une injustice ; et qui sait si ce n’est pas l’unique source de votre misanthropie de fait ? Nous tolérons difficilement les autres, quand il y a au fond de nos pensées quelque chose dont nous ne pouvons nous absoudre nous-mêmes. Moi, je crois, et j’ose vous dire que vous seriez consolé si vous aviez réparé le mal que vous faites depuis si longtemps à un de vos semblables.

— Le mal que je lui fais ? Et quel mal lui ai-je donc fait ? Quelle vengeance ai-je donc exercée contre lui ? à qui en ai-je dit du mal ? à qui me suis-je plaint ? que savez-vous vous-même de mes sentiments secrets envers lui ? Qu’il se taise, ce malheureux ! ou il commettra une grande iniquité en se plaignant de ma conduite.

— Monsieur le marquis, il ne s’en plaint pas, mais il déplore la perte de votre amitié. Ce regret trouble son