Page:Sand - Le Péché de Monsieur Antoine, Pauline, L’Orco, Calman-Lévy, 18xx, tome 1.djvu/262

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ami, dans un autre soi-même, une initiative féconde et les moyens de compléter sérieusement l’œuvre de sa destinée.

Enfin, il accusait Cardonnet, au fond de sa pensée, de vouloir consacrer au mal les forces et les moyens que Dieu lui avait donnés pour l’aider à faire le bien, et il voyait en lui un tyran aveugle et opiniâtre, qui mettait l’argent au-dessus du bonheur d’autrui et du sien propre, comme si l’homme était l’esclave des choses matérielles et non le serviteur de la vérité avant tout.

M. de Boisguilbault n’était pourtant pas un esprit essentiellement religieux. Émile le trouvait toujours trop froid sous ce rapport. Quand le marquis avait dit : « Je crois en Dieu », il se croyait dispensé de dire : « J’adore. » Quand ses pensées, prenant le plus puissant essor dont il était capable, s’élevaient jusqu’à une sorte d’invocation, qui n’était pas précisément la prière, mais l’hommage, il disait à Dieu : « Ton nom est sagesse ! » Émile ajoutait : « Ton nom est amour ! » Alors le vieillard reprenait : « C’est la même chose », et il avait raison.

Émile ne pouvait guère le contredire ; mais, dans cette disposition à insister sur le caractère grandiose de la logique et de la rectitude divines, on sentait bien, chez le marquis, l’absence de cette passion exaltée qu’Émile portait dans son sein pour l’inépuisable bonté de la Toute-Puissance. Mais aussi, quand les faits extérieurs, les misères, la faiblesse humaine et tout le mal d’ici-bas donnaient un démenti apparent à cette miséricordieuse Providence et qu’Émile tombait dans une sorte de découragement, le vieux logicien reprenait la supériorité de sa foi.

Il ne doutait jamais, lui, il ne pouvait pas douter. Il n’avait pas besoin de voir pour savoir, disait-il, et le passage des fléaux de ce monde ne troublait pas plus à ses yeux l’ordre moral des choses éternelles que celui des nuées sur le soleil n’en altérait l’ordre physique.