Page:Sand - Le Péché de Monsieur Antoine, Pauline, L’Orco, Calman-Lévy, 18xx, tome 1.djvu/267

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tendu, je serai ici toute la journée, n’y manquez pas ! Bonsoir, monsieur Émile, nous causerons de bonne amitié. Ah ! mais ! c’est que moi aussi je vous aime bien ! »

Plus de doutes pour Émile ; la maîtresse femme de Châteaubrun avait ouvert les yeux sur son amour. Quelque voisin officieux commençait à s’étonner de le voir si souvent sur le chemin des ruines. Antoine ne savait rien encore, Gilberte non plus ; car, en lui annonçant une petite absence de son père, cette dernière n’avait pas paru prévoir que Janille la ferait partir avec lui. L’adroite gouvernante avait bien fait son plan : d’abord écarter Émile, et puis organiser le départ de Gilberte à l’improviste, afin de se ménager quelques jours pour conjurer le petit orage qu’elle prévoyait de la part du jeune homme.

« Il faudra donc parler, se disait Émile ; et pourquoi reculerais-je devant ce terme inévitable de mes secrètes aspirations ? Je dirai à sa fidèle gouvernante, à son excellent père, que je l’aime et que j’aspire à sa main… Je demanderai quelque temps pour m’en ouvrir à mon père et pour m’entendre avec lui sur le choix d’une carrière, car je n’en ai point encore, et il faut bien que mon sort se décide. Il y aura une lutte assez violente, mais je serai fort, j’aime. Il ne s’agit pas de moi seul ; j’aurai le courage invincible, j’aurai le don de la persuasion, je l’emporterai ! »

Malgré cette confiance, Émile passa la nuit dans d’affreuses perplexités. Il se représentait l’entretien qu’il allait avoir avec Janille, et il eût pu écrire les questions et les réponses, tant il connaissait l’aplomb et la franchise de la petite femme.

« Ah mais, monsieur (devait-elle lui dire, à coup sûr), parlez à votre père avant tout, et arrangez-vous avec lui ; car il est fort inutile de troubler l’esprit de M. Antoine par une demande conditionnelle, des projets incer-