Page:Sand - Le Péché de Monsieur Antoine, Pauline, L’Orco, Calman-Lévy, 18xx, tome 1.djvu/276

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prenaient de longer la Sédelle sur l’autre flanc de la montagne.

Comme, en bien des endroits, le torrent a rongé la base du roc, il leur fallut tantôt grimper, tantôt redescendre, tantôt mettre le pied sur des blocs à fleur d’eau, et tout cela non sans peine et sans danger. Mais la jeunesse est aventureuse, et l’amour ne doute de rien.

Une providence particulière protège l’un et l’autre, et nos amoureux se tirèrent bravement de tous les périls, Émile tremblant d’une toute autre émotion que la peur lorsqu’il soulevait ou retenait Gilberte dans ses bras ; Gilberte riant pour cacher son trouble ou pour s’en distraire.

Gilberte était forte, agile et courageuse comme une enfant de la montagne ; et pourtant, à franchir ainsi des obstacles continuels, elle se sentit bientôt essoufflée et se laissa tomber sur la mousse au bord de l’eau bondissante, jeta son chapeau sur le gazon, forcée de relever ses cheveux dénoués qui pendaient sur ses épaules.

« Allez donc me cueillir cette belle digitale que je vois là-bas », dit-elle à Émile pensant qu’elle aurait le temps de se recoiffer avant qu’il fût de retour.

Mais il y alla et revint si vite, qu’il la trouva encore tout inondée de ses cheveux d’or, que ses petites mains avaient peine à ramasser en une seule tresse.

Debout auprès d’elle, il admirait ces trésors qu’elle rejetait derrière sa tête avec plus d’impatience que d’orgueil, et qu’elle eût coupés depuis longtemps comme un fardeau gênant, si Antoine et Janille ne s’y fussent jalousement opposés.

En ce moment, néanmoins, elle leur sut gré de ne l’avoir pas souffert ; car, malgré son peu de coquetterie, elle vit bien qu’Émile était éperdu d’admiration, et elle n’avait rien fait pour la provoquer !