Page:Sand - Le Péché de Monsieur Antoine, Pauline, L’Orco, Calman-Lévy, 18xx, tome 1.djvu/28

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pris par une nuit d’enfer à la porte de ma demeure : voilà vos titres et vos droits. Par dessus le marché, vous avez une agréable figure et un air qui me plaît ; je crois donc que je serai récompensé de ma confiance par le plaisir d’avoir obligé un brave garçon. Allons, asseyez-vous, mangez et buvez.

— C’est trop de bontés, et je suis touché de votre manière franche et affable d’accueillir les voyageurs. Mais je n’ai besoin de rien, monsieur, et c’est bien assez que vous me permettiez d’attendre ici la fin de l’orage. J’ai soupé à Éguzon il n’y a guère plus d’une heure. Ne faites donc rien servir pour moi, je vous en conjure.

— Vous avez soupé déjà ? mais ce n’est pas là une raison ! Êtes-vous donc de ces estomacs qui ne peuvent digérer qu’un repas à la fois ? À votre âge, j’aurais soupé à toutes les heures de la nuit si j’en avais trouvé l’occasion. Une course à cheval et l’air de la montagne, c’est bien assez pour renouveler l’appétit. Il est vrai qu’à cinquante ans on a l’estomac moins complaisant ; aussi, moi, pourvu que j’aie un demi-verre de bon vin avec une croûte de pain rassis, je me tiens pour bien traité. Mais ne faites pas de façons ici. Vous êtes venu à point, j’allais me mettre à table, et ma pauvre petite ayant la migraine aujourd’hui, nous étions tout tristes, Janille et moi, de manger tête à tête : votre arrivée est donc une consolation pour nous, ainsi que celle de ce brave garçon, mon ami d’enfance, que je reçois toujours avec plaisir. Allons, toi, assieds-toi là à mon côté, dit-il en s’adressant au paysan, et vous, mère Janille, vis-à-vis de moi. Faites les honneurs : car vous savez que j’ai la main malheureuse, et que quand je me mêle de découper, je taille en deux le rôt, l’assiette, la nappe, voire un peu de la table, et cela vous fâche. »

Le souper que dame Janille avait étalé sur la table d’un