Page:Sand - Le Péché de Monsieur Antoine, Pauline, L’Orco, Calman-Lévy, 18xx, tome 1.djvu/283

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qu’il parlerait à son père avant de s’adresser à celui de Gilberte.

Une fille égoïste ou ambitieuse eût été plus prudente. Elle eût mis l’aveu de ses sentiments à des conditions plus rigides. Elle n’eût consenti à revoir son amant que le jour où il serait revenu accomplir toutes les formalités de la demande en mariage. Mais Gilberte ne s’avisa point de toutes ces précautions.

Elle sentit dans son cœur quelque chose de l’infini, une foi et un respect pour la parole de son amant, qui n’avaient pas de bornes. Elle ne se tourmenta plus que d’une chose : c’était d’être une cause de trouble et d’affliction pour la famille d’Émile, le jour où il parlerait.

Elle ne pouvait plus douter de la victoire qu’il se faisait fort de remporter ; mais l’idée du combat la faisait souffrir, et elle eût voulu éloigner ce moment terrible.

« Écoutez, lui dit-elle avec une naïveté angélique, rien ne nous presse ; nous sommes heureux ainsi, et assez jeunes pour attendre. Je crains que la principale et la meilleure objection de votre père ne soit précisément celle-là ; vous n’avez que vingt et un ans, et on peut craindre que vous n’ayez pas encore assez pesé votre choix, assez examiné le caractère de votre fiancée. Si l’on vous parle d’attendre et si on vous demande le temps de réfléchir, soumettez-vous à toutes les épreuves. Quand même nous ne serions unis que dans quelques années, qu’importe, pourvu que nous puissions nous voir, et puisque nous ne pouvons pas douter l’un de l’autre ?

— Oh ! vous êtes une sainte ! répondit Émile en baisant le bord de son écharpe, et je serai digne de vous. »

Quand ils retournèrent vers le lieu où ils avaient laissé Antoine, ils le virent bien loin de là, causant avec un meunier de sa connaissance, et ils allèrent l’attendre au pied de la grande tour.