Page:Sand - Le Péché de Monsieur Antoine, Pauline, L’Orco, Calman-Lévy, 18xx, tome 1.djvu/51

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compassion en songeant qu’il y avait là une jeune fille dont l’aïeule avait eu des pages, des vassaux, des meutes, des chevaux de luxe, tandis que, désormais, cette héritière d’une ruine effrayante à voir, allait peut-être, comme la princesse Nausicaa, laver elle-même son linge à la fontaine.

Au moment où il faisait cette réflexion, il vit, au dernier étage de la tour carrée, une petite fenêtre ronde s’ouvrir doucement, et une tête de femme, portée par le plus beau cou qui se puisse imaginer, se pencher comme pour parler à quelqu’un dans le préau. Émile Cardonnet, quoiqu’il appartînt à une génération de myopes, avait la vue excellente, et la distance n’était pas assez grande pour ne pas lui permettre de distinguer les traits de cette gracieuse tête blonde, dont le vent faisait voltiger la chevelure un peu en désordre. Elle lui parut ce qu’elle était en effet, une tête d’ange, parée de toute la fraîcheur de la jeunesse, douce et noble en même temps. Le son de la voix qui se fit entendre était plein de charmes, et la prononciation avait une distinction remarquable.

— Jean, disait-elle, il a donc plu toute la nuit ? Voyez comme la cour est remplie d’eau ? De ma fenêtre je vois tous les prés comme des étangs.

— C’est un déluge, ma chère enfant, répondit d’en bas le paysan, qui paraissait l’ami intime de la famille, une vraie trombe d’eau ! je ne sais pas si le gros de la nuée a crevé ici ou ailleurs, mais jamais je n’ai vu la fontaine si remplie.

— Les chemins doivent être abîmés, Jean, et vous ferez bien de rester ici. Mon père est-il éveillé ?

— Pas encore, ma Gilberte, mais la mère Janille est déjà sur pied.

— Voulez-vous la prier de monter auprès de moi, mon vieux Jean ? J’ai quelque chose à lui demander.