Page:Sand - Le Péché de Monsieur Antoine, Pauline, L’Orco, Calman-Lévy, 18xx, tome 1.djvu/56

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absorbée par l’examen de ses travaux d’horticulture ; elle n’attendait son fils que dans la soirée.

Sur une plage plus découverte, Émile vit les constructions savantes et compliquées de l’usine, et, au milieu d’un pêle-mêle de matériaux de toutes sortes, remuer une cinquantaine d’ouvriers affairés, les uns sciant des pierres de taille, les autres préparant le mortier, d’autres équarrissant les poutres, d’autres encore chargeant des charrettes traînées par d’énormes chevaux. Comme il fallait, de toute nécessité, descendre au pas le chemin rapide, le petit Charasson put prendre la parole.

« Voilà une mauvaise descente, pas vrai, monsieur ? Tenez bien la guide à votre chevau ! Ça serait bien de besoin que M. Cardonnet fît un chemin pour amener les gens de chez nous à son invention (son usine). Voyez, les belles routes qu’il a faites des autres côtés ! et les jolis ponts ! tout en pierres, oui ! Avant lui, on se mouillait les pattes en été pour passer l’eau, et en hiver on n’y passait mie. C’est un homme que le pays devrait lui baiser la terre où ce qu’il marche.

— Vous n’êtes donc pas comme votre ami Jean qui dit tant de mal de lui ?

— Oh ! le Jean, le Jean ! il ne faut pas faire grande attention à ce qu’il chante. C’est un homme qui a des ennuis, et qui voit tout en mal depuis quelque temps, quoiqu’il ne soit pas méchant homme, au contraire. Mais il n’y a que lui dans le pays qui dise comme ça ; tout le monde est grandement porté pour M. Cardonnet. Il n’est pas chiche, celui-là. Il parle un peu dur, il échine un peu l’ouvrier, mais dame ! il paye, faut voir ! et quand on se crèverait à la peine, si on est bien récompensé, on doit être content, pas vrai, Monsieur ? »

Le jeune homme étouffa un soupir. Il ne partageait pas absolument le système de compensations économiques