Page:Sand - Le Péché de Monsieur Antoine, Pauline, L’Orco, Calman-Lévy, 18xx, tome 1.djvu/73

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— Un tiers, c’est peu, car il faudra que je m’habille. Je suis tout nu.

— Eh bien ! je double ; ta journée est de trente sous au prix courant du pays, je te la paie trois francs ; tous les jours tu en recevras la moitié, l’autre moitié étant consacrée à t’acquitter envers moi.

— Soit ; ce sera long, j’en aurai au moins pour quatre ans.

— Tu te trompes, pour deux ans juste. J’espère bien que dans deux ans je n’aurai plus rien à bâtir.

— Comment, monsieur, je travaillerai donc chez vous tous les jours, tous les jours de l’année sans désemparer ?

— Excepté le dimanche.

— Oh ! le dimanche, je le crois bien ! Mais je n’aurai pas un ou deux jours par semaine que je pourrai passer à ma fantaisie ?

— Jean, tu es devenu paresseux, je le vois. Voilà déjà les fruits du vagabondage.

— Taisez-vous ! dit fièrement le charpentier ; paresseux vous-même ! Jamais le Jean n’a été lâche, et ce n’est pas à soixante ans qu’il le deviendra. Mais, voyez-vous, j’ai une idée pour me décider à prendre votre ouvrage. C’est celle de me bâtir une petite maison. Puisqu’on m’a vendu la mienne, j’aime autant en avoir une neuve, faite par moi tout seul, et à mon goût, à mon idée. Voilà pourquoi je veux au moins un jour par semaine.

— C’est ce que je ne souffrirai pas, répondit l’industriel avec roideur. Tu n’auras pas de maison, tu n’auras pas d’outils à toi, tu coucheras chez moi, tu mangeras chez moi, tu ne te serviras que de mes outils, tu…

— En voilà bien assez pour me faire voir que je serai votre propriété et votre esclave. Merci, monsieur, il n’y a rien de fait. »

Et il se dirigea vers la porte.