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LE PÉCHÉ

Ou vous me comprenez trop, ou vous ne pouvez pas du tout me comprendre !…

« Ah ! je vous comprends à la fin, moi, dit le rusé charpentier, et je vas dire à madame ce que vous ne pouvez pas venir à bout de lui expliquer. Madame Rose, ajouta-t-il en s’adressant à Gilberte, et en lui donnant résolument le nom de la sœur du curé de Cuzion, vous connaissez bien mademoiselle Gilberte de Châteaubrun, votre jeune voisine ? Eh bien, M. le marquis a une grande rancune contre elle, à ce qu’il paraît ; il faut croire qu’elle lui a fait quelque vilaine offense ; et comme j’allais lui dire quelque chose par rapport à vous et à M. Émile…

— Que dis-tu ? s’écria le marquis, Émile ?

— Ça ne vous regarde pas, reprit Jean : vous ne saurez plus rien, je parle à madame Rose… oui, madame Rose, M. de Boisguilbault déteste mademoiselle Gilberte ; il s’est imaginé que c’était peut-être vous ; voilà pourquoi il voulait vous jeter dehors, et plutôt par la fenêtre que par la porte. »

Gilberte éprouvait une mortelle répugnance à soutenir cet étrange et audacieux persiflage ; pendant quelques instants elle avait éprouvé une si vive sympathie pour le marquis, qu’elle se reprochait d’abuser de son erreur et de l’exposer à des émotions qui paraissaient le faire autant souffrir qu’elle-même. Elle résolut de le désabuser peu à peu, et d’être plus hardie que son facétieux complice, en affrontant les suites de la colère de M. de Boisguilbault.

« Il y a du moins, dit-elle avec une noble assurance, une énigme pour moi dans ce que j’entends. Je ne puis comprendre que Gilberte de Châteaubrun soit un objet de réprobation pour un homme aussi juste et aussi respectable que M. de Boisguilbault. Comme je ne sais rien d’elle qui puisse justifier un pareil mépris, et qu’il m’im-