Page:Sand - Le Péché de Monsieur Antoine, Pauline, L’Orco, Calman-Lévy, 18xx, tome 2.djvu/145

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
142
LE PÉCHÉ

Enfin, comme Gilberte se levait pour se retirer avec Jean, dont elle acceptait l’escorte jusqu’à Châteaubrun, il se leva aussi, prit son chapeau, et saisissant sa nouvelle canne d’un air délibéré qui fit sourire le charpentier :

« Vous me permettrez, dit-il, de vous accompagner aussi. Ce malotru peut être quelque part en embuscade, et deux chevaliers valent mieux qu’un.

— Laissez-le donc faire ! » dit tout bas Jean à Gilberte, qui essayait de refuser sa politesse.

Ils sortirent tous trois du parc, et d’abord, le marquis se tint derrière à quelque distance, ou marcha devant comme pour leur servir d’avant-garde. Enfin il se trouva à côté de Gilberte, et, remarquant qu’elle était comme brisée et marchait avec peine, il se décida à lui offrir son bras. Peu à peu il se mit à causer avec elle, et peu à peu aussi, il se sentit plus à l’aise. Il lui parla de choses générales d’abord, puis d’elle-même particulièrement. Il l’interrogea sur ses goûts, sur ses occupations, sur ses lectures ; et, bien qu’elle se tînt dans une réserve modeste, il s’aperçut bientôt qu’elle était douée d’une intelligence élevée et qu’elle avait un fonds d’instruction très-solide.

Frappé de cette découverte, il voulut savoir où et comment elle avait appris tant de choses sérieuses, et elle lui avoua qu’elle avait puisé la meilleure partie de ses connaissances dans la bibliothèque de Boisguilbault.

« J’en suis fier et charmé ! dit le marquis, et je mets tous mes bons livres à votre disposition. J’espère que vous m’en ferez demander, à moins que vous ne consentiez à me charger de les choisir et de vous les envoyer chaque semaine. Jean voudra bien être notre commissionnaire, en attendant qu’Émile le redevienne. »

Gilberte soupira ; elle ne prévoyait guère, au silence effrayant d’Émile, que ce temps heureux pût lui être rendu.