Page:Sand - Le Péché de Monsieur Antoine, Pauline, L’Orco, Calman-Lévy, 18xx, tome 2.djvu/182

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est évident, ajouta tristement la voyageuse ; comment puis-je en douter ? N’a-t-elle pas cessé tout à coup de m’écrire en apprenant le parti que j’ai pris ? Elle aura craint de se corrompre ou de se dégrader dans le contact d’une vie comme la mienne ! Ah ! Pauline ! elle m’aimait tant, et elle aurait rougi de moi !… je ne sais plus que penser… À présent que je me sens si près d’elle, à présent que je suis sûre de la retrouver dans la situation où je l’ai connue, je ne peux plus résister au désir de la voir. Oh ! je la verrai, dût-elle me repousser ! Si elle le fait, que la honte en retombe sur elle ! j’aurai vaincu les justes défiances de mon orgueil, j’aurai été fidèle à la religion du passé ; c’est elle qui se sera parjurée !

Au milieu de ces agitations, elle vit monter le matin gris et froid derrière les toits inégaux des maisons déjetées qui s’accoudaient disgracieusement les unes aux autres. Elle reconnut le clocher qui sonnait jadis ses heures de repos ou de rêverie ; elle vit s’éveiller les bourgeois en classiques bonnets de coton ; et de vieilles figures dont elle avait un confus souvenir, apparurent toutes renfrognées aux fenêtres de la rue. Elle entendit l’enclume du forgeron retentir sous les murs d’une maison décrépite ; elle vit arriver au marché les fermiers en manteau bleu et en coiffe de toile cirée ; tout reprenait sa place et conservait son allure comme aux jours du passé. Chacune de ces circonstances insignifiantes faisait battre le cœur de la voyageuse, quoique tout lui semblât horriblement laid et pauvre.

— Eh quoi ! disait-elle, j’ai pu vivre ici quatre ans, quatre ans entiers sans mourir ! j’ai respiré cet air, j’ai parlé à ces gens-là, j’ai dormi sous ces toits couverts de mousse, j’ai marché dans ces rues impraticables ! et Pauline, ma pauvre Pauline vit encore au milieu de tout cela, elle qui était si belle, si aimable, si instruite, elle qui au-