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DE M. ANTOINE

la main sur la tête d’une manière toute paternelle et caressante, mais avec un sourire de puissance calme :

« Je suis très-content de toi, Émile, je vois que tu t’occupes, que tu travailles sérieusement, et que tu n’as pas perdu cette fois ton temps à courir de châteaux en châteaux. Tu viens de parler très clairement et comme un jeune avocat consciencieux qui a bien étudié sa cause. Je te remercie de la bonne direction que prennent tes idées ; et sais-tu ce qui me fait le plus de plaisir ? c’est que tu t’attaches à ton œuvre comme je l’avais auguré du bienfait de l’étude. Voilà que tu te passionnes déjà pour le succès, que tu en ressens les émotions puissantes, que tu passes par les crises inévitables de terreur, de doute, et même de découragement momentané, qui accompagnent, dans le génie de l’industriel, l’éclosion de tout projet important. Oui, Émile, voilà ce que j’appelle concevoir et enfanter. Ce mystère de la volonté ne s’accomplit pas sans douleur ; il en est du cerveau de l’homme comme du sein de la femme.

« Mais tranquillise-toi maintenant, mon ami ! Le danger que tu as cru découvrir n’existe que dans une appréciation superficielle des choses, et ce n’est pas dans une simple promenade que tu as pu en saisir l’ensemble. J’ai passé huit jours, moi, à explorer ce torrent avant de lui poser la première pierre sur le flanc, et j’ai pris conseil d’un homme plus expérimenté que toi. Tiens, voici le plan des localités, avec les niveaux, les mesures et le cubage. Étudions cela ensemble. »

Émile examina attentivement ce travail, et y reconnut plusieurs erreurs de fait. On avait jugé impossible que l’eau arrivât à certaines élévations dans les temps extraordinaires, et que certains obstacles pussent l’enchaîner au-delà d’un certain nombre d’heures. On avait travaillé sur des éventualités, et l’expérience la plus vulgaire, l’as-