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DE M. ANTOINE

même ; car je sais maintenant le chemin de Châteaubrun !

— J’entends, mon père, dit Émile profondément blessé et navré : vous voulez qu’elle me haïsse si je l’abandonne, ou me méprise si je l’obtiens au prix de mon abaissement et de mon apostasie. Je vous remercie de l’alternative où vous me placez, et j’admire le génie inventif de votre amour paternel.

— Pas un mot de plus, Émile, répondit froidement M. Cardonnet. Je vois que la folie du socialisme persiste, et que l’amour aura quelque peine à la vaincre. Je souhaite que Gilberte de Châteaubrun fasse ce miracle, afin que tu n’aies point à me reprocher de n’avoir pas consenti à ton bonheur. »


XXVII.

PEINES ET JOIES D’AMOUR.


Émile alla s’enfermer dans sa chambre et y passa deux heures en proie aux plus violentes agitations. La pensée de posséder Gilberte sans lutte, sans combat, sans passer par cette affreuse épreuve de briser le cœur de son père, qu’il avait jusque-là prévue avec effroi et douleur, le jetait dans une ivresse complète. Mais tout à coup l’idée de s’avilir à ses propres yeux par un serment impie, le plongeait dans un amer désespoir ; et, parmi ces alternatives de joie et de souffrance, il ne pouvait se résoudre à rien. Oserait-il aller se jeter aux pieds de Gilberte et lui tout avouer ? Il comptait sur son courage et sur sa grandeur d’âme. Mais remplirait-il envers elle les devoirs de l’amour, si au lieu de lui cacher le terrible sacrifice qu’il pouvait lui faire en silence, il la mettait de moitié dans ses remords et ses angoisses ? Ne lui avait-il pas dit cent